Un article paru dans le journal LE SOIR, journal le plus lu en Belgique (mai 2011) :

Jean-Luc Pening, l’aveugle qui donne à voir

L’homme qui a reçu samedi le prix du public au festival du court-métrage de Bruxelles n’a jamais vu le film récompensé. Et pour cause. Si Jean-Luc Pening affichait sur la scène du cinéma Vendôme un sourire figé derrière ses lunettes noires, c’est qu’il est aveugle. Mais c’est aussi parce qu’il ne voit plus que Na Wewe a vu le jour. Tel est le titre de cette fiction de 18 minutes. Ça veut dire : Toi aussi en kirundi. Et c’est une ode à la différence.
Jean-Luc Pening, l’aveugle qui donne à voir
Le Belge Jean-Luc Pening, coscénariste du film « Na Wewe », d’Ivan Goldschmidt, sur le tournage, au Burundi © Philippe Vdd
PORTRAIT
L’histoire se passe au plus fort de la guerre civile qui a ravagé le Burundi des années 90. Un drame en partie éclipsé par le génocide rwandais, qui puise ses racines dans les mêmes haines ethniques. C’est le sujet abordé par le film, qui ose le traiter avec humour et dérision. En mode surréalisme à la belge. Pour montrer que les distinctions raciales qui opposent si souvent les humains n’ont pas le moindre fondement.
Jean-Luc Pening n’est pas le réalisateur de Na Wewe, tourné et produit à bout de bras par le Belge Ivan Goldschmidt (retenu en Thaïlande). Il en est l’inspirateur et le (co)scénariste. Et si sa modestie l’empêche de revendiquer quelque honneur que ce soit, il ne peut s’empêcher d’y déceler un clin d’œil du destin. Ce destin qui l’a laissé pour mort sur une route près de Bujumbura…
C’était en 1995. Après un début de carrière en Afrique pour des institutions onusiennes, cet ingénieur agronome ULB s’est installé au Burundi en 1992 avec son épouse rwandaise. « C’était encore le paradis ». Il exporte des plantes ornementales. Survient l’attentat contre l’avion des présidents Habyarimana et Ndadaye. Les tensions ethniques s’intensifient, la guerre civile explose, Jean-Luc et sa femme choisissent de rester avec leurs enfants. Jusqu’au drame, le 24 août.
Une balle dans la tempe.
Revenant de sa plantation, le Belge est suivi par un camion militaire qui précipite sa voiture dans le fossé. Un soldat sort, s’approche, lui loge une balle dans la tempe. A bout portant. Les paras de l’ambassade de Belgique, alertés par sa femme, le trouvent un peu plus tard. Vivant. L’œil droit arraché, le nerf optique gauche sectionné. Soigné en Belgique, c’est en aveugle que Jean-Luc retourne deux ans plus tard à Buja.
« J’ai appris à la ligue Braille à travailler sur ordinateur grâce à la synthèse vocale. Je me suis lancé dans la communication. » En fondant une ASBL qui organise des campagnes d’infos et de sensibilisation pour ONG. Par exemple sur le sida. La com est le moteur de sa reconstruction. « Comme je ne savais plus lire, j’ai inventé des histoires pour les raconter à mes enfants. » Il tente un concours de scénario, gagne le premier prix. Puis se souvient d’un vieux compagnon d’études devenu réalisateur.
« J’ai reçu ce texte par mail, confirme Ivan Goldschmidt, et je me suis dit : il faut le faire. C’est une histoire universelle. » Ce fut surtout le parcours du combattant. Au bout du compte, un tournage d’un mois au Burundi, un financement conjoint Communauté française, Flandre, Affaires étrangères et Unesco, et l’élan bénévole de l’équipe du tournage. Les acteurs ont presque tous été recrutés sur place. Pour un résultat hurlant de vérité.
Cerise sur le gâteau : avec l’aide d’Ivan, l’ASBL de Jean-Luc a entrepris de former de jeunes Burundais aux métiers du cinéma. Revenu à Bruxelles, le héros malgré lui est par ailleurs devenu coach. Pour apprendre aux autres « à passer de subir avec peine à agir avec plaisir ».